Décidément, traverser les portes – ou les miroirs – devenait une drôle d'habitude pour Alice. Pourquoi les portes étaient-elles si importantes pour lier les mondes ? Pourquoi ne pouvaient-elles pas être seulement des portes ? Enfant, elle s'était souvent demandé ce qui arriverait si, en allant dans sa salle de bain, elle se retrouvait dans celle du Chapelier Fou par un procédé étrange. Après tout, une porte lui avait bien ouvert l'accès à un magnifique jardin. Alors, pourquoi pas ? Cette pensée la fit sourire, doucement, alors qu'elle ouvrait la porte magique qui allait la conduire sur l'île où elle pouvait approcher ces humains qui vivaient sensiblement la même chose qu'eux, personnages de contes. Que ce devait être déstabilisant, pour eux aussi ! Elle était curieuse, d'ailleurs, de savoir de quelle façon ils vivaient la chose. Est-ce qu'eux aussi avaient envie de rentrer chez eux ? Est-ce qu'eux aussi, ne comprenaient pas ce qui s'était passé ? Peut-être pouvaient-ils tous s'aider ? Ce fut avec un milliard de questions en tête – comme d'habitude – qu'Alice arriva sur cette étrange petite île, avec la ferme envie de l'explorer. Elle n'avait prévenu personne, c'était habituel. Pas même Dinah, qui devait pourtant bien se douter que sa maîtresse était de nouveau partie se fourrer dans de drôles d'aventures...

Tranquillement, Alice entreprit de se rendre dans les montagnes. C'était, pour le moment, ce qui l'attirait le plus. Elle était persuadée qu'il y avait un tas de choses à découvrir en ces lieux et elle était tout à fait déterminée à découvrir les moindres secrets de cet endroit. Peut-être pourrait-elle trouver une solution pour retourner dans son monde ? Le monde des humains était fascinant, oui. Mais elle n'oubliait pas pour autant qu'elle avait des choses à accomplir dans son Angleterre à elle. Elle avait quitté le Pays des Merveilles pour cette raison, après tout. Et plus vite aurait-elle fait ce qu'elle avait à faire en Angleterre, plus vite elle pourrait repartir au Pays des Merveilles. Et ne plus jamais le quitter. Cet endroit si étrange et loufoque lui manquait plus que ce qu'elle voulait bien admettre. Ses habitants lui manquaient. Surtout le Chapelier, à vrai dire. Il lui devenait de plus en plus difficile de vivre loin de lui, de grandir loin de son regard, de s'épanouir loin de ses encouragements. Elle secoua la tête, comme pour changer l'ordre de ses pensées dans son esprit, et se mit en marche plus activement pour gagner les montagnes le plus rapidement possible. Vêtue comme elle l'était, l'ascension n'était pas si simple. Son éternelle robe bleue n'était pas la plus pratique pour marcher, et elle trébucha un certain nombre de fois.

Elle marcha un certain temps, se maudissant de ne pas avoir pensé à prendre de l'eau. Sa gorge commençait à brûler, et elle aurait donné n'importe quoi pour une tasse de thé à cet instant. Elle continua de gravir la montagne, pourtant, trop déterminée pour s'arrêter mais la tête trop profondément enfouie dans ses pensées pour voir exactement où elle marchait. Elle en était à se dire qu'être plus grande aurait été bien pratique ici, lorsque son pied se coinça dans un trou. Et, avant même qu'elle ne s'en aperçoive, sa cheville forma un angle tout à fait inapproprié, craquant sous le coup et elle poussa un cri qui emplit le vide avant de chuter lamentablement. Sa cheville lui faisait terriblement mal et elle souleva le bas de sa robe pour voir l'étendu des dégâts. Visiblement, rien de trop dramatique. Ça ne saignait pas... Mais c'était extrêmement douloureux. Et il ne fallut pas beaucoup de temps pour que cela se mette à gonfler. Je vais me retrouver avec un deuxième pied qui me poussera là ! pensa Alice. Et si d'ordinaire, elle aurait rit à cette pensée, elle n'avait pour le moment pas la moindre envie de rire. Elle tenta bien de se relever, mais la douleur qui paralysa son être tout entier la força à s'asseoir sur le sol. Elle réprima ses larmes, les noyant au plus profond d'elle-même. « Et la petite sotte se retrouva coincée... » soupira-t-elle.

Il lui sembla attendre une éternité, ainsi, à lutter contre la douleur de sa cheville, avant qu'un bruit ne capte son attention. « Il y a quelqu'un ? » lança-t-elle, le cœur battant. « Je vous en prie. S'il y a quelqu'un, montrez-vous. Je... Je me suis blessée, je crois. J'ai besoin d'aide. S'il vous plait ! »

Elle souffrait profondément. Pourtant, elle se força à sourire à la demoiselle qui venait de lui apparaître. Alliée ou non ? Pour le moment, Alice ne pouvait en être certaine. Mais elle était certaine d'une chose ; cette petite brune était son seul espoir de ne pas finir par périr dans ces montagnes à cause de sa cheville. Elle acquiesça aux premières paroles de la demoiselle ; non, en effet, ça n'allait pas. Sa cheville avait triplé de volume, elle l'aurait juré, et la douleur était lancinante, difficilement supportable. Elle ne pouvait plus bouger la jambe sans avoir l'impression qu'on tentait de la lui arracher. Elle lâcha un petit rire coupé par un léger gémissement de douleur, lorsque la petite brune lui dit d'attendre. Même rire lui descendait dans la jambe et la faisait souffrir. Quant à attendre, il y avait actuellement très peu de chance pour qu'elle puisse faire quoi que ce soit de plus. Alice la regarda faire, détaillant les gestes de celle qui allait être sa sauveuse. « Oui, je crois que ça fera totalement l'affaire. » confirma-t-elle en laissant son regard s'attarder sur le long morceau de tissu que l'humaine venait de sortir de son sac à dos. Fermant les yeux pour réunir tout son courage, Alice inspira profondément, avant de rouvrir les paupières et de fixer son regard sur la demoiselle alors que celle-ci attendait l'autorisation du Champion du Pays des Merveilles pour pouvoir s'occuper de sa cheville. « Allez-y. » Alice redoutait déjà la douleur. Mais il fallait bien qu'elle fasse avec.

Elle aurait voulu la remercier, d'ailleurs, de détourner la conversation – et donc l'attention d'Alice – sur autre chose en se présentant. Mais elle n'était capable que de grimacer et de gémir un peu plus de douleur dès l'instant où Loëlyne entreprit de bander sa cheville meurtrie. Elle attendit même quelques minutes, les yeux clos, pour reprendre son souffle coupé par la douleur avant de reprendre la parole. « Tropical Boat. Je... Je m'appelle Alice. » Elle se demanda alors si d'autres personnages de conte portaient le même nom qu'elle. Était-elle la seule Alice ? Elle savait de source sûre qu'elle était la vraie Alice... Mais la seule ? C'était une bonne question. Se forçant à nouveau à rouvrir les yeux, elle força ses lèvres à s'attirer en un sourire. « Merci. » Alice était pleinement consciente qu'elle avait de la chance, actuellement, que cette jeune personne se soit arrêtée pour lui venir en aide. Elle aurait pu tomber sur une multitude d'autres personnes qui l'auraient laissé là. Ou qui auraient pu tirer profit de sa mésaventure. Mais Loëlyne, spontanément, était venue à son secours. Et la jeune Alice n'allait probablement pas oublier ça de si-tôt. « Comment... Comment vivez-vous cette drôle d'aventure, dites-moi ? Vous êtes humaine, n'est-ce pas ? Ce doit être bien étrange pour vous, tout ceci. »

Il fallait qu'elle trouve quelque chose pour occuper son esprit et ainsi ne plus penser à la douleur, et une conversation lui semblait toute indiquée dans ce cas très précis. Fort heureusement, discuter était quelque chose de naturel pour Alice...

Visiblement, la demoiselle fut surprise lorsqu'Alice lui donna son identité. Et malgré la douleur, le Champion du Pays des Merveilles fut incapable de retenir un rire. Elle acquiesça d'un signe de tête à la question de son interlocutrice, riant encore un peu plus sans que cela ne soit moqueur ou méchant. « Je vois que je ne peux pas rester anonyme bien longtemps, me voilà démasquée. » répondit-elle doucement à sa jeune sauveuse, sur le ton de la plaisanterie. Puis, la curiosité reprenant le dessus, Alice ne pu s'empêcher de s'informer sur la façon dont l'humaine vivait la chose. Elle savait par expérience que se retrouver dans un monde totalement nouveau, dont on ne savait pas grand chose, pouvait être déstabilisant. Et même si elle avait voyagé entre son monde à elle et le Pays des Merveilles, elle ne pouvait pas nier que cette nouvelle aventure-ci avait parfois tendance à la déboussoler elle-même.

« Je n'ai jamais visité Agrabah. » finit-elle par dire, fronçant très légèrement les sourcils. « Mais de ce que j'ai entendu, c'est un très beau pays. Jasmine en est la Princesse, n'est-ce pas ? Je ne crois pas encore avoir eu l'occasion de lui parler. J'aurais bien voulu commercer avec Agrabah, mais ce pays n'était pas encore tout à fait sur la liste de nos collaborateurs. » Elle ne connaissait Agrabah que de nom, à vrai dire. Elle avait voyagé, certes. Mais pas partout. Elle savait qu'il lui restait encore un milliard d'endroits à voir, dans son monde. Mais, à vrai dire, le seul endroit où elle voulait vraiment retourner était le Pays des Merveilles. Ce dernier lui manquait affreusement... Parler permettait à Alice de ne plus faire trop attention au soin que lui apportait Loëlyne. Ce ne fut que lorsque cette dernière eut fini le bandage que l'Anglaise posa son regard sur sa cheville, souriant légèrement en la remerciant encore une fois.

« Je meurs de soif ! » s'exclama-t-elle, sa gorge la brûlant à la simple perspective de pouvoir boire quelque chose. « Je suppose que vous n'avez pas de thé sous la main ? » plaisanta-t-elle avec un petit rire. « Je me contenterai d'eau, si c'est possible. Vous êtes un ange, Loëlyne, sans vous je me serai retrouvée bien embêtée. Je ne doute pas que le Chapelier ou Dinah auraient tenté de me retrouver. Mais qui sait combien de temps j'aurais passé à attendre ici ! » Rapidement, Alice ôta une de ses mitaines bleues. Elle les aimait beaucoup. Et, toujours en souriant, elle la tendit à la demoiselle. « Ce n'est pas grand chose, mais je ne peux pas vous donner plus. Prenez-la, j'y tiens. Un cadeau en remerciement de votre aide. Et si vous trouvez que ce n'est pas une raison suffisante... eh bien... Considérez ceci comme un cadeau de non-anniversaire, je suppose que c'est le vôtre. » Elle lui offrit son plus beau sourire malicieux, toute amusée qu'elle était, tout en attendant que Loëlyne prenne la mitaine.